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L’intelligence artificielle, vecteur de transformation mais pas encore d’innovation

Par Julien Kokocinski, Partner, Cabinet de conseil Capco


L’intelligence artificielle, vecteur de transformation  mais pas encore d’innovation
Même si l’intelligence artificielle transforme en profondeur les processus bancaires, elle n’a pas encore démontré sa capacité à générer des innovations de rupture. Cette technologie est pourtant le catalyseur qui permettra aux banques de devenir le partenaire de vie de leurs clients.

L’apport de l’Intelligence Artificielle (IA) dans la transformation des processus bancaires est aujourd’hui indéniable. Un constat particulièrement vrai dans les métiers du Transaction Banking, générateur de quantités astronomiques de données. Il faut savoir que les banques françaises comptabilisent notamment plus de 21 milliards d’opérations de paiement par an comprenant des données sur le montant, le porteur, l’accepteur, la localisation, le type d’achat, etc.

A titre d’exemple, l’Intelligence Artificielle transforme ainsi en profondeur :

  • Le paiement : automatisation de workflows, reconnaissance de documents, paiement à la voix ou via d’autres technologies biométriques, …

  • La détection et prévention des fraudes : détection en temps réel d’opérations ou de comportements inhabituels, …

  • L’onboarding client : simplification du KyC (Know Your Customer) grâce à l’IA pour lire des documents, en déduire le sens afin de faciliter les décisions humaines et les croiser avec des sources externes, …

  • Les interfaces client : utilisation de chatbots comprenant et générant le langage humain pour répondre à des questions ou réaliser des actions simples.

Toutefois, si la transformation de process est non discutable, l’Intelligence Artificielle n’a pas encore permis de générer de réelles innovations. En effet, l’IA est aujourd’hui implémentée pour améliorer, moderniser et digitaliser des processus actuels mais elle n’a pas encore démontré sa capacité à créer un nouveau monde, à offrir de nouvelles propositions de valeur pour les clients finaux. Pour illustrer ce propos, le fait de vérifier son solde bancaire via un chatbot demeure le même processus, simplement effectué par un canal différent. Il en est de même avec le paiement mobile plutôt que par carte bancaire : le consommateur est toujours en train de réaliser un acte de paiement mais par un autre moyen.

Quel futur grâce à l’IA ?

L’IA pourrait et devrait être utilisée pour générer des propositions de valeur et des expériences client totalement innovantes. Une réelle opportunité existe pour redessiner la façon dont les clients et les banques travaillent ensemble. Grâce à l’IA (en complément d’autres technologies), les banques peuvent mieux comprendre leurs clients, anticiper leurs besoins, leur proposer des services bancaires classiques au meilleur moment et via le meilleur canal, mais aussi offrir une multitude de services non bancaires.

Prenons un exemple : votre banque décèle que vous êtes sur le point d’acheter un appartement, d’avoir un enfant ou de partir en voyage. Celle-ci pourrait non seulement vous offrir des produits bancaires pertinents et adaptés à votre situation, selon vos canaux de communication préférés, mais aussi vous offrir de nouveaux services à valeur ajoutée pour vous faciliter la vie (mise en relation avec des déménageurs, des artisans pour réaliser des travaux, un notaire, une baby-sitter, …) ou encore personnaliser son offre de fidélisation (promotions adéquates sur des produits et services en lien avec ces événements).

L’utilisation de critères psychographiques (segmentation client basée sur les styles de vies, les croyances, les valeurs, les goûts et les personnalités des consommateurs) permettra demain d’affiner la connaissance clients pour proposer ce type d’offres personnalisées, sur toutes les dimensions : faire la proposition la plus personnalisée possible, au meilleur moment et par le meilleur canal. L’IA est le catalyseur qui permettra aux banques de devenir le partenaire de vie de leurs clients.

Dans le domaine des paiements, les banques ne sont pas les seuls acteurs à devoir capitaliser sur l’IA. Si les acteurs du e-commerce ont réalisé de grandes avancées dans l’exploitation des données pour développer de nouvelles expériences clients (proposition d’offres personnalisées, paiement fractionné, etc.), il reste encore beaucoup de chemin à faire dans le domaine de la distribution physique.

Imaginons ce que pourrait être l’apport de l’IA dans les magasins physiques : ceux-ci seraient en capacité de reconnaitre un client dès son entrée en point de vente plutôt qu’au passage en caisse (où il est trop tard pour vous proposer une offre sur-mesure). Chaque magasin pourrait ainsi identifier les clients fidèles pour leur offrir des expériences réellement différentes (comme une caisse ou une cabine d’essayage ouverte tout spécialement pour eux, une offre premium spécifique sur leurs produits préférés, …).

Par ailleurs, l’IA sera centrale dans le devenir du paiement sans « cash », y compris dans la distribution physique. L’enjeu n’est effectivement pas de transformer le processus de paiement, en remplaçant un mode de paiement par un autre, mais bien dans de le faire totalement disparaitre aux yeux du consommateur.

Des défis à relever pour les banques

Les banques doivent relever un certain nombre de défis, internes et externes, pour réellement réussir à tirer profit de l’IA. Le premier reste la donnée, dont les banques ne sont pas encore parvenues à tirer pleinement profit. En effet, les données sont souvent produites de façon silotées, ce qui constitue une barrière à l’adoption généralisée de l’IA. Par ailleurs, l’enjeu est de parvenir à structurer et exploiter ces données dont le volume explose d’année en année, et ce, en temps réel. L’adoption massive attendue des objets connectés va encore accroître le nombre de données que les banques auront à traiter pour être en mesure de proposer de nouveaux produits.

La culture des banques est un frein : elles ont par nature une aversion face aux risques et possèdent donc une approche consistant à définir les raisons pour « ne pas faire ». Or les algorithmes d’IA sont potentiellement générateurs d’erreurs : ils fournissent une probabilité et non une certitude. Une situation qui se révèle difficile à accepter pour une banque car cela peut impacter le niveau de confiance de ses clients.

L’organisation interne, les modèles métiers, les procédures et les comportements n’incitent pas encore le déploiement de solutions d’IA. Les banques doivent évoluer par rapport au modèle « product-centric » afin de devenir beaucoup plus « client-centric » et donc « data-centric ». En outre, il y a de façon générale une mauvaise coordination entre les équipes métiers, les équipes Data Science (souvent logées dans un département Digital) et les équipes IT impactant la capacité à concevoir et implémenter des solutions d’IA innovantes. C’est sans compter les problématiques de budget auxquelles sont souvent confrontés les départements IT alors même qu’ils ont besoin de recruter de nouvelles compétences et de construire les infrastructures pour mettre en production et maintenir les innovations poussées par les Labs internes.

Enfin, la réglementation freine l’innovation en matière d’adoption de l’IA. A titre d’exemple, si la RGPD est une protection appréciée pour les consommateurs, elle rend les banques « nerveuses » quant à l’utilisation intensive des données clients avec de l’IA pour proposer de nouvelles expériences. Même en cas de consentement client, l’utilisation massive des données les expose au risque de fuite de données, dont les conséquences tant financières qu’en termes d’image sont très significatives pour les banques.

Nous ne sommes qu’au début de l’ère de l’Intelligence Artificielle. S’il est encore difficile de prédire ce que l’IA permettra réellement de faire demain, il est évident qu’elle jouera un rôle fondamental dans l’émergence de nouveaux produits et services, dans l’accompagnement personnalisé et en temps réel des clients. La transformation du monde actuel, que les banques ont très largement commencé, est certainement une étape incontournable avant de pouvoir réellement redessiner le monde de demain et proposer des innovations de rupture. L’innovation passe par l’expérimentation.

A propos de Capco
Capco est un cabinet de conseil international en management et organisation spécialisé dans les services financiers. Créé en 1998, Capco possède 27 bureaux dans le monde répartis sur 4 continents. Les experts Capco se concentrent sur les changements complexes de l’industrie financière et excellent dans ce domaine grâce à une expertise pointue dans les métiers bancaires et les technologies.


Jeudi 12 Décembre 2019



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