Le gouvernement d'Emmanuel Macron et d'Edouard Philippe prend-il les entrepreneurs français de la blockchain pour des pigeons ? Le projet de Plan d'Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises (PACTE), présenté en Conseil des ministres le 18 juin dernier, comporte en effet des lacunes majeures, qui pourraient, beaucoup plus sûrement que la concurrence étrangère, « tuer » le développement du secteur de la blockchain en France.
Car si, lors des multiples auditions qui se sont tenues au cours des derniers mois, le gouvernement a donné aux acteurs de la blockchain le sentiment d'être écoutés, nous n'avons pas le sentiment d'avoir été entendus.
Certes, et c'est un progrès notable, le projet de loi PACTE n'assimile plus les entrepreneurs de la blockchain ni à des fraudeurs ni à des complices du crime organisé.
Certes, par son article 26, le gouvernement montre que son intention n'est pas d'interdire la "jetonisation" de l'économie. Bien au contraire, puisqu'on reconnaît pour la première fois dans le droit français l'existence juridique d'un jeton issu d'une blockchain. Certes, la volonté d'encadrer les Initial Coin Offerings (ICO) en imposant des "bonnes pratiques" est louable. Il est temps, en effet, de moraliser le secteur.
Pourquoi prendre le risque d'une perte de confiance et d'une contamination systémique, alors que nous disposons avec l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) d'un modèle de réglementation efficace et exportable ?
L'échec de la « Blockchain Nation » ?
Mais, dans son obsession du risque, le gouvernement a négligé un point essentiel. Pour pouvoir réglementer une activité, encore faut-il que cette activité puisse... exister. Or, en France, les sociétés qui développent la blockchain, les futurs champions de demain qui pourront lancer des ICO, conquérir les marchés mondiaux et donner à la France sa place de leader, n'ont aucune chance de se développer. Cet échec de la « blockchain nation » en France a trois causes : une cause bancaire, d'abord, des causes monétaire et fiscale, ensuite.
Sur le plan bancaire, il faut rappeler ce principe élémentaire : on ne peut pas créer ni faire fonctionner de société en France sans posséder de compte en banque. La loi impose aux entreprises en création de déposer sur ce dernier une somme correspondant au minimum à la moitié de leur capital social. Un compte bancaire est indispensable pour percevoir le produit d'une ICO, une fois les cryptoactifs récoltés par le biais de l'ICO transformés en euros, via une plateforme de change. Il est tout aussi nécessaire pour payer des salaires, payer un loyer ou s'acquitter de ses impôts.
Or, les banques françaises refusent aujourd'hui les dépôt de fonds provenant de la vente de cryptoactifs, qui est la principale ressource des sociétés de la blockchain. Quand l'ouverture du compte n'est pas, purement et simplement, impossible, le compte qui a été ouvert est clôturé après quelques jours ou quelques semaines d'exercice.
Contrairement à ce qu'impose la loi, aucune justification n'est fournie. Tout recours auprès de la Banque de France est donc impossible. De l'opacité des règles naît l'arbitraire.
SOS, entrepreneurs en danger
Tout aussi important, le problème monétaire vient du fait que, pour « transformer » ses bitcoins en euros, il est nécessaire de passer par une plateforme de change. Or, il n'en existe aucune sur le territoire français, du fait des contraintes réglementaires. L'essentiel du marché est donc capté par des plateformes internationales comme Coinbase, Bitfinex ou Kraken, qui brassent des milliards quotidiennement. La grande majorité des flux Euros-Bitcoin se retrouvent ainsi localisés aux Etats-Unis ou à Hong Kong.
Comment espère-t-on maîtriser ces flux financiers, s'ils sont complètement déterritorialisés ? A minima, il conviendrait d'établir si les plateformes d'échange françaises doivent, ou non, être assujetties aux mêmes règles que les plateformes de change de devises. Il n'est pas normal de laisser les entrepreneurs dans l'incertitude sur ce point, et de les contraindre à des solutions dangereuses sur le plan économique, autant que juridique.
Le volet fiscal est le troisième obstacle à surmonter. Si je réalise une ICO, ou que je manipule de la cryptomonnaie au sein de mon entreprise, dois-je déclarer ces jetons, et faire l'objet d'une imposition ? Certains spécialistes, comme l'avocat et ancien Secrétaire général du Conseil national du numérique (CNN), Jean-Baptiste Soufron, plaident pour que les jetons soient considérés comme des « actifs immatériels », dont la valeur n'est constatée qu'à l'occasion de leur vente, qui est le seul élément déclenchant leur fiscalisation. Lever cette inconnue fiscale est essentiel pour garantir la sécurité juridique des entreprises qui s'installent sur ce marché. Qu'attendons-nous pour clarifier la situation ?
Créer une Agence de la blockchain
A ce stade, la Banque de France, la Fédération des Banques Françaises, l'Ordre des experts comptables, pour ne citer qu'eux, doivent avoir leur mot à dire. Et tout le monde doit prendre sa place autour de la table. Une possibilité serait de créer une « Agence de la blockchain », placée sous l'autorité du Premier ministre, pour gérer ce qui relève d'une situation d'urgence. Car faute de réponse, les entrepreneurs de la Blockchain iront travailler ailleurs.
La concertation qui a eu lieu, à laquelle nous avons participé, et où tous ces problèmes ont été posés, ne doit pas apparaître comme une diversion ou, pire, un aveu d'impuissance, face au défi que représente notre industrie naissante. Le gouvernement nous a demandé d'être clairs, alors soyons-le : nous ne serons pas les « Pigeons » de Macron. Comme le disait le président américain Barack Obama : « Nous sommes la génération que nous attendions ». Les décisions importantes se prennent maintenant. Et elles engagent tout notre avenir. La France se doit d'être à la hauteur de son époque.
Par François-Xavier THOORENS, Président et CTO ARK Ecosystem
Car si, lors des multiples auditions qui se sont tenues au cours des derniers mois, le gouvernement a donné aux acteurs de la blockchain le sentiment d'être écoutés, nous n'avons pas le sentiment d'avoir été entendus.
Certes, et c'est un progrès notable, le projet de loi PACTE n'assimile plus les entrepreneurs de la blockchain ni à des fraudeurs ni à des complices du crime organisé.
Certes, par son article 26, le gouvernement montre que son intention n'est pas d'interdire la "jetonisation" de l'économie. Bien au contraire, puisqu'on reconnaît pour la première fois dans le droit français l'existence juridique d'un jeton issu d'une blockchain. Certes, la volonté d'encadrer les Initial Coin Offerings (ICO) en imposant des "bonnes pratiques" est louable. Il est temps, en effet, de moraliser le secteur.
Pourquoi prendre le risque d'une perte de confiance et d'une contamination systémique, alors que nous disposons avec l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) d'un modèle de réglementation efficace et exportable ?
L'échec de la « Blockchain Nation » ?
Mais, dans son obsession du risque, le gouvernement a négligé un point essentiel. Pour pouvoir réglementer une activité, encore faut-il que cette activité puisse... exister. Or, en France, les sociétés qui développent la blockchain, les futurs champions de demain qui pourront lancer des ICO, conquérir les marchés mondiaux et donner à la France sa place de leader, n'ont aucune chance de se développer. Cet échec de la « blockchain nation » en France a trois causes : une cause bancaire, d'abord, des causes monétaire et fiscale, ensuite.
Sur le plan bancaire, il faut rappeler ce principe élémentaire : on ne peut pas créer ni faire fonctionner de société en France sans posséder de compte en banque. La loi impose aux entreprises en création de déposer sur ce dernier une somme correspondant au minimum à la moitié de leur capital social. Un compte bancaire est indispensable pour percevoir le produit d'une ICO, une fois les cryptoactifs récoltés par le biais de l'ICO transformés en euros, via une plateforme de change. Il est tout aussi nécessaire pour payer des salaires, payer un loyer ou s'acquitter de ses impôts.
Or, les banques françaises refusent aujourd'hui les dépôt de fonds provenant de la vente de cryptoactifs, qui est la principale ressource des sociétés de la blockchain. Quand l'ouverture du compte n'est pas, purement et simplement, impossible, le compte qui a été ouvert est clôturé après quelques jours ou quelques semaines d'exercice.
Contrairement à ce qu'impose la loi, aucune justification n'est fournie. Tout recours auprès de la Banque de France est donc impossible. De l'opacité des règles naît l'arbitraire.
SOS, entrepreneurs en danger
Tout aussi important, le problème monétaire vient du fait que, pour « transformer » ses bitcoins en euros, il est nécessaire de passer par une plateforme de change. Or, il n'en existe aucune sur le territoire français, du fait des contraintes réglementaires. L'essentiel du marché est donc capté par des plateformes internationales comme Coinbase, Bitfinex ou Kraken, qui brassent des milliards quotidiennement. La grande majorité des flux Euros-Bitcoin se retrouvent ainsi localisés aux Etats-Unis ou à Hong Kong.
Comment espère-t-on maîtriser ces flux financiers, s'ils sont complètement déterritorialisés ? A minima, il conviendrait d'établir si les plateformes d'échange françaises doivent, ou non, être assujetties aux mêmes règles que les plateformes de change de devises. Il n'est pas normal de laisser les entrepreneurs dans l'incertitude sur ce point, et de les contraindre à des solutions dangereuses sur le plan économique, autant que juridique.
Le volet fiscal est le troisième obstacle à surmonter. Si je réalise une ICO, ou que je manipule de la cryptomonnaie au sein de mon entreprise, dois-je déclarer ces jetons, et faire l'objet d'une imposition ? Certains spécialistes, comme l'avocat et ancien Secrétaire général du Conseil national du numérique (CNN), Jean-Baptiste Soufron, plaident pour que les jetons soient considérés comme des « actifs immatériels », dont la valeur n'est constatée qu'à l'occasion de leur vente, qui est le seul élément déclenchant leur fiscalisation. Lever cette inconnue fiscale est essentiel pour garantir la sécurité juridique des entreprises qui s'installent sur ce marché. Qu'attendons-nous pour clarifier la situation ?
Créer une Agence de la blockchain
A ce stade, la Banque de France, la Fédération des Banques Françaises, l'Ordre des experts comptables, pour ne citer qu'eux, doivent avoir leur mot à dire. Et tout le monde doit prendre sa place autour de la table. Une possibilité serait de créer une « Agence de la blockchain », placée sous l'autorité du Premier ministre, pour gérer ce qui relève d'une situation d'urgence. Car faute de réponse, les entrepreneurs de la Blockchain iront travailler ailleurs.
La concertation qui a eu lieu, à laquelle nous avons participé, et où tous ces problèmes ont été posés, ne doit pas apparaître comme une diversion ou, pire, un aveu d'impuissance, face au défi que représente notre industrie naissante. Le gouvernement nous a demandé d'être clairs, alors soyons-le : nous ne serons pas les « Pigeons » de Macron. Comme le disait le président américain Barack Obama : « Nous sommes la génération que nous attendions ». Les décisions importantes se prennent maintenant. Et elles engagent tout notre avenir. La France se doit d'être à la hauteur de son époque.
Par François-Xavier THOORENS, Président et CTO ARK Ecosystem